Spectacles et diplomatie

Spectacles et diplomatie.
Conférences et congrès de paix du XVe siècle au début du XXe siècle

Appel à communication

 

Colloque organisé par l’équipe Saprat (EPHE-PSL), à Paris et Versailles, les 25, 26 et 27 septembre 2024

Le Congrès s’amuse, [estampe] par Forceval. Source: gallica.bnf.fr. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE QB-370 (73)-FT 4

De la « Guerre de Cent ans » à la fin de la Première Guerre mondiale, d’Arras, en 1435, à Paris et Versailles, en 1919, les rencontres diplomatiques organisées en vue de la paix sont, à l’aune des guerres, fort nombreuses en Europe. Les sources médiévales mentionnent seulement le terme générique de « conférences » pour évoquer des réunions où des émissaires traitent de voies de paix. Le mot de « congrès » diplomatique, la forme même qui lui est associée, n’apparaissent véritablement qu’à partir du milieu du XVIIe siècle. Au XIXe siècle, conférences et congrès sont ensuite marqués, entre autres, par la montée en puissance des États-nations, l’émergence de la diplomatie de concert et le rôle croissant de l’anglais. Les lieux, les acteurs, l’organisation, les modes de sociabilité et la durée de ces rencontres varient donc considérablement du XVe siècle au début du XXe siècle. Elles se caractérisent néanmoins par le souci commun, sinon réel du moins proclamé, d’éviter ou de clore des conflits. Les rencontres les plus importantes, rassemblées à titre indicatif dans la liste ci-dessous, affrontent des enjeux cruciaux, visent une stabilisation ou une inflexion décisive dans les relations entre puissances et ont laissé une empreinte durable dans la mémoire collective.

Congrès et conférences de paix sont aussi des événements extraordinaires aux multiples facettes. À l’instar des rencontres princières à l’époque moderne, pour lesquelles Jean-Marie le Gall a discerné une vaste gamme de divertissements (mystères, entrées, joutes, tournois, carrousels, ballets équestres, bals, ballets, représentations théâtrales, concerts, opéras et autres formes lyriques, jeux et courses d’animaux, feux d’artifices et illuminations), les congrès et conférences de paix sont ainsi l’occasion de spectacles nombreux et variés. Le présent colloque entend les étudier dans une perspective comparatiste, typologique et diachronique, tout en mettant en valeur le caractère unique des différentes performances spectaculaires.

Le sujet a déjà suscité l’intérêt des historiens de la diplomatie. Plusieurs études importantes consacrées aux rencontres entre princes, à l’époque médiévale et à l’époque moderne, ainsi qu’aux congrès, ont mis en évidence le nombre, la diversité et l’importance des fêtes publiques, des célébrations et des rituels religieux à ces occasions. On se réfère ici aux travaux fondateurs de Lucien Bély sur les congrès, en particulier celui d’Utrecht (Espions et ambassadeurs au temps de Louis XIV, 1990), à un colloque récent explorant de façon systématique les interactions entre les congrès et les villes d’accueil (Christian Windler [éd.], Kongressorte der frühen Neuzeit im europäischen Vergleich : der Frieden von Baden (1714), 2016), ou encore aux analyses de la dimension sonore, notamment musicale, de la diplomatie (voir par exemple Damien Mahiet, Rebekah Ahrendt et Frédéric Ramel (éd.), Diplomacy, audible and resonant, dossier de Diplomatica, vol. 3/2, 2021). De manière générale, l’histoire de la diplomatie, en intégrant dans ses terrains d’enquête des acteurs beaucoup plus nombreux, prend désormais plus en considération les artistes, jongleurs, danseurs, acteurs, peintres et musiciens intervenant dans les conférences et les congrès. L’organisation de certains spectacles, concerts et pièces de théâtre notamment, a été analysée en profondeur. Néanmoins, les spécialistes de la diplomatie ont généralement envisagé ces pratiques comme une forme d’à-côté, sous l’angle du divertissement, éventuellement avec une portée symbolique. Une approche d’ensemble de la typologie, des rôles et de l’évolution des pratiques spectaculaires en contexte diplomatique fait encore défaut.

Du côté de l’histoire des spectacles, qui s’est, dans le même temps, également constituée en véritable discipline, les congrès et les conférences de paix n’ont pas fait l’objet de travaux spécifiques. Ce sont principalement des musicologues qui s’y sont intéressés, dans le cadre plus large de l’étude des rapports entre musique et politique, ce qu’illustre par exemple le colloque « Musique et sorties de guerres (XIXe-XXIe siècles) » tenu à Montréal en 2018.

En se situant au croisement des études sur les spectacles, la diplomatie, l’histoire de la musique, du théâtre, des arts picturaux et de la danse, ce colloque entend par conséquent favoriser le dialogue entre plusieurs historiographies qui ont, depuis plusieurs décennies maintenant, été très vivement renouvelées. Plusieurs axes complémentaires seront privilégiés pour envisager l’ensemble des pratiques spectaculaires dans les conférences et congrès.

Il s’agira tout d’abord de déterminer qui sont les acteurs de ces spectacles. Si la séparation entre professionnels et amateurs est délicate et n’a pas forcément de sens à toutes les époques, la prise en considération des individus impliqués est fondamentale. Participants et publics – ces deux catégories pouvant se mêler – seront appréhendés de concert.

Tout aussi importante est la question des lieux où se déroulent les spectacles. Les lieux de la négociation diplomatique sont-ils transformés pour accueillir des spectacles ou bien les envoyés diplomatiques sont-ils amenés à se transporter ailleurs, dans des lieux de spectacle ? Des sites tant naturels qu’urbains sont-ils utilisés ?

Cette réflexion sur les acteurs et les lieux conduit à s’interroger sur les négociations préalables à la tenue des spectacles. Qui décide ? Selon quel calendrier ? Qui paie ? Une approche économique des spectacles est indispensable. L’étude de ces divers points conduit à explorer comment culture « spectaculaire » et culture diplomatique s’interpénètrent, comment les pratiques liées à ces deux types d’activités coexistent et s’influencent.

L’étude du répertoire (mot à prendre ici au sens large) est à ce titre essentielle. Si on parle ou on chante, quelle langue est-elle choisie ? Cherche-t-on à innover, à proposer des créations ou a-t-on recours à des formes de spectacles plus traditionnelles ?

La réflexion portera également sur la portée symbolique des spectacles. Quels discours véhiculent-t-ils ? Comment s’harmonisent-ils avec ceux qui forment la matière même du travail diplomatique? La manière dont celui-ci se poursuit lors des spectacles est du reste une question centrale pour le colloque. La soulever conduit à évaluer le bénéfice politique attendu et apporté par les spectacles – une question liée à celle de la réception (ou à l’oubli) de ces spectacles, tant chez les contemporains qu’à plus long terme.

Des sources aussi nombreuses que variées pourront être mobilisées pour traiter ce sujet : livres de cérémonies, correspondances diplomatiques, journaux d’ambassades, documents comptables, iconographie, journaux intimes, presse, sources matérielles (costumes, éléments de décors, lieux où ont eu lieu les spectacles), etc.

Les propositions de communication, d’une taille maximum de 2000 signes et accompagnées d’une présentation biographique d’une demi-page, sont à envoyer avant le 30 octobre 2023 à maddalena.bellavitis@ephe.psl.eu; jean-claude.yon@ephe.psl.eu; stephane.pequignot@ephe.psl.eu.

Elles seront examinées par le comité scientifique du colloque et une réponse sera apportée avant le 20 décembre 2023.

Pour télécharger l’appel à communication

Comité scientifique

Lucien Bély (Sorbonne Université)
Marie Bouhaïk-Girones (CNRS)
Yves Bruley (EPHE-PSL)
Astrid Castres (EPHE-PSL)
Veronique Dominguez (Université de Nantes)
Laurent Hablot (EPHE-PSL)
Beate Angelika Kraus (Beethoven-Haus, Vienne)
Guy-Michel Leproux (EPHE-PSL)
Jean-Marie Moeglin (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)
Cécile Reynaud (EPHE-PSL)